Le 12 août, les autorités laotiennes ont arrêté 800 personnes soupçonnées d’être impliquées dans un réseau de cybercriminalité. Ce réseau de fraude en ligne, était installé dans une « zone économique spéciale » (ZES). Basée dans la province laotienne de Bokeo, au nord du pays, elle est frontalière de la Birmanie et de la Thaïlande.
Les suspects -489 hommes et 282 femmes-, sont de quinze nationalités différentes, selon le Laotian Times. Originaires du Laos, de Birmanie, de Chine, mais aussi du Burundi, de Colombie, d’Éthiopie, de Géorgie, d’Inde, d’Indonésie, du Mozambique, de Tunisie, des Philippines, d’Ouganda et du Vietnam, ils sont accusés d’avoir participé à des activités frauduleuses en ligne. « Lorsqu’on parle de cybercriminalité, ça peut être de l’hameçonnage téléphonique, de l’escroquerie sentimentale (1) ou même de la sextorsion (2) », explique Rayna Stamboliyska, experte en cybersécurité.
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Ces arnaqueurs opèrent depuis des centres d’appel. « Ce sont de grandes infrastructures fortifiées, où ils travaillent et dorment, comme des prisonniers », poursuit-elle. Autour de ces centres, des casinos, des zones de trafics de drogues et des réseaux de prostitution. « Les activités illégales s’alimentent entre elles, affirme l’experte. La cybercriminalité, nourrie par le trafic d’être humain, entretient d’autres activités criminelles ».
« Des cybercriminels esclaves »
Dans un rapport publié en 2023, le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (HCDH), alertait déjà sur l’existence d’un réseau de trafic d’être humains et d’arnaque en ligne en Asie du Sud-Est, notamment au Laos, en Birmanie et au Cambodge. Selon les estimations de l’HCDH, rien qu’en Birmanie, il y aurait au moins 120 000 personnes contraintes de commettre ces escroqueries en ligne. « Dites-vous que ces 120 000 victimes, ce n’est que pour un pays, ils doivent être bien plus nombreux », réagit Rayna Stamboliyska.
Derrière leur écran, ces escrocs sont en réalité victimes d’un trafic d’êtres humains. Ils sont kidnappés lors d’un voyage en Asie du Sud-Est ou attirés par une annonce frauduleuse d’offre d’emploi où on leur promet un salaire mirobolant. « Les instigateurs de ces réseaux d’arnaques appâtent de jeunes diplômés en leur proposant des postes dans l’e-commerce, via Instagram Facebook ou X. Ils organisent de faux entretiens pour les mettre en confiance », détaille Rayna Stamboliyska.
Après les avoir récupérés à l’aéroport, les malfaiteurs leur confisquent leur passeport ainsi que leur téléphone et les envoient dans ces centres d’arnaques où ils sont obligés de travailler, jusqu’à 18 heures par jour. « Ils sont obligés d’arnaquer des gens sous peine d’être battus et torturés. Ils deviennent des cybercriminels esclaves », conclut-t-elle.
Des États dépassés par la cybercriminalité
Si les individus visés par le système étaient pour la plupart d’origine chinoise, ils sont désormais de plus en plus nombreux à venir d’Afrique, d’Europe et d’autres parties de l’Asie. Inquiètes, les autorités chinoises, laotiennes, indonésiennes, malaisiennes, disent joindre leurs efforts pour démanteler ces réseaux.
Le Laos a annoncé aux médias locaux mener diverses actions pour éradiquer ce réseau transnational. L’opération du 12 août, qui a conduit à l’arrestation de 800 personnes, est la « plus importante jamais menée dans le Triangle d’Or », selon le gouvernement. Elle a été pilotée en collaboration avec des polices étrangères et notamment chinoises.
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« La Chine a beaucoup à perdre. Elle est excédée et embarrassée de voir sa population arnaquée ou kidnappée », explique Rayna Stamboliyska. Selon cette experte, le gouvernement chinois aurait même recours à des groupes « mafieux », composés en partie de Chinois, pour retrouver ses ressortissants. Mais, une fois rentrés au pays, c’est la double peine pour eux. « Ils sont traités comme des suspects et sont souvent emprisonnés », poursuit-t-elle.
Ces activités criminelles sont difficiles à contrer puisqu’elles se développent dans des pays instables, en proie à des conflits. « Dans ces zones très pauvres, il y a un enracinement des activités illégales, beaucoup vivent de cette économie souterraine », affirme Rayna Stamboliyska. « Certains pays n’ont d’ailleurs pas intérêt à ce que ces trafics s’arrêtent puisqu’ils financent indirectement des industries légales », conclut-t-elle.
(1) Escroquerie en ligne qui consiste à feindre des sentiments amoureux envers une victime pour lui extorquer de l’argent.
(2) Extorsion de fonds par chantage après avoir récupéré les photographies ou des vidéos représentant une personne dénudée sur Internet.